Le processus d’individuation

Carl Gustav Jung

« Jung disait la vérité. C’est même son tort – il ne disait que ça »  Jacques Lacan, Encore, éd. du Seuil, 1975, p. 125.

Jung est né en 1875. Il étudie la médecine, puis la psychiatrie. En 1907, il rencontre Freud, ils échangeront des correspondances pendant 6 ans. En 1912, une divergence sépare les deux hommes, et Jung continue seul ses recherches sur l’inconscient. Il approfondira la notion d’inconscient collectif, après avoir observé différentes civilisations « archaïques ». Il étudiera différentes philosophies orientales. Jung sera l’un des premiers à oser mêler orient et occident dans ses recherches sur l’homme.

« Jung ouvre la psychanalyse à une dimension cachée par le scientisme ambiant : la spiritualité. Son apport, quoique contestable sur certains points, reste unique. Explorant l’inconscient en scientifique et poète, il montre que celui-ci se structure non comme une langue mais sur le mode du mythe.[…] »
André Nataf, Le monde de … Jung, éd. MA Editions, 1985, p. 209.

Processus d’individuation selon Jung

Chaque être humain, possède (ou s’est construit) une personnalité, qu’il va exprimer à chaque instant de sa vie, qu’il soit seul, ou en relation aux autres. Dans la plupart des situations, il ne montre qu’une facette de lui, en fonction de l’environnement, et de sa volonté ou capacité d’adaptation à l’environnement.

C’est une sorte de caméléon, qui s’identifie au décor ou aux personnes qui l’entourent. Il modifie son comportement, son attitude. C’est la phase d’identification, pendant laquelle il imite consciemment ou inconsciemment les autres, un caractère particulier, la culture à la mode… Il répond à l’attente des autres, du groupe, de la culture, la société, la nation… Cela est tout à fait nécessaire, pendant le temps de construction de la personnalité.

Jung décrit un processus, qui transforme « l’homme-caméléon » en « homme-un ».

« Le processus d’individuation est, dit Jung, le processus qui se déroule au cours de l’analyse (réussie). C’est une maturation spontanée, l’analyse n’ayant pour rôle que de lui frayer la voie. Ce processus est (virtuellement) inscrit en tout être humain, il peut éventuellement se produire sans que la conscience y participe. Comme cela se produit chez certaines personnes qui n’ont pas été analysées. »
André Nataf, Le monde de … Jung, éd. MA Editions, 1985, p.101

Ce processus fait de l’homme un « individu », non divisé, il cesse de s’identifier aux autres et reste lui-même dans toutes les circonstances de sa vie. L’homme exprime peu à peu sa psychologie propre, alors que jusque là il exprimait la psychologie collective.

Les techniques de développement personnel, de psychothérapie, de connaissance de soi, les initiations décrites dans les philosophies orientales, ou les pratiques comme le yoga favorisent cette maturation. Ce n’est pas une question de transformation de la personnalité, mais de prise de conscience des contenus psychiques : (pensées, émotions, croyances, schémas de comportement…), et une mise en présence de l’inconscient (rencontre avec l’ombre décrite par Jung). Tant que les contenus inconscients ne remontent pas à la conscience, nous les projetons sur les autres, en n’admettant pas qu’ils font partie de nous. A partir du moment où nous nous les réapproprions, ils sont peu à peu acceptés dans leur globalité. La transformation vient de cette acceptation, et du regard plus lucide que nous posons sur nous.

Le processus d’individuation s’effectue en plusieurs temps : l’unification, la prise de conscience de la différence et la restitution au groupe par la créativité.

> Unification

Selon Jung, le processus d’individuation décrit l’unification de la personne, comme si les parcelles jusque-là éparses de lui-même se retrouvaient assemblée en une seule forme ; l’individu est « un ».

« La voie de l’individuation signifie : tendre à devenir un être réellement individuel et, dans la mesure où nous entendons par individualité la forme de notre unicité la plus intime, notre unicité dernière et irrévocable, il s’agit de la réalisation de son Soi, dans ce qu’il a de plus personnel et de plus rebelle à toute comparaison. On pourrait donc traduire le mot « d’individuation » par « réalisation de soi-même », « réalisation de son Soi »… « .
Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, Folio Essais, 2001, p. 115.

> Prise de conscience de la différence

La personne devient un individu quand elle prend conscience de son originalité, de tout ce qui la caractérise en tant qu’être différent des autres.

« Un progrès commence toujours par l’individuation, c’est à dire qu’un isolé, ayant pris conscience de son isolement, fraie une voie qui n’a pas encore été battue. Il lui faut pour cela, en premier lieu – absolument en dehors de toute autorité et de toute tradition – réfléchir à ce qui est sa réalité fondamentale et laisser venir à lui la conscience qu’il est différent des autres ».
Jung, L’énergétique psychique, Livre de Poche, 1993, p. 85.

> De l’individu au collectif

En développant sa personnalité individuelle, l’être humain se différencie des autres. Il se sépare de la norme, s’oppose à la société, aux valeurs collectives. Pour retrouver sa place au sein du groupe, l’individu devra s’adapter, et laisser émerger ses propres valeurs, positives et utilisables par la collectivité.

L’individu a un tribut à payer, il doit racheter sa faute, en devenant créateur.

« L’être individué n’a pas à priori à réclamer la moindre estime. Il a à se contenter de l’estime qui lui vient de l’extérieur sur la base des valeurs qu’il crée. La société n’a pas seulement le droit, mais aussi le devoir de mépriser l’être individué pour autant qu’il ne crée pas de valeurs équivalentes ; car c’est un déserteur. »
Jung, L’Herne (recueil de textes de Jung), éd. de l’Herne, 1984, p. 37.

Soi

« En définitive, toute vie est la réalisation d’un tout, c’est à dire d’un soi, raison pour laquelle cette réalisation peut être appelée « individuation ». »
Jung, Psychologie et Alchimie, éd. Buchet/Chastel, 1970, p. 291.

Le Soi correspond à l’esprit, la part divine en l’homme. Le processus d’individuation est une clarification et un déconditionnement. C’est comme si la personnalité, une fois acceptée dans sa totalité, devenait transparente et laissait couler à travers elle une force plus grande, celle du Soi. Chaque personne doit manifester quelque chose qui lui est propre. Cela restera impossible tant que nous serons pris dans nos constructions imaginaires, nos interdictions, nos peurs, nos attachements…

« La santé psychique qui caractérise l’être en voie de maturation s’appelle le développement sain. La santé psychique de l’adulte est appelée : accomplissement de soi, maturité affective, individuation, productivité, réalisation de soi, authenticité, plénitude de soi, etc. »
Abraham Maslow, Vers une psychologie de l’être, éd. Fayard, 1972, p. 224.

Il s’agit donc d’abord, de devenir soi-même, c’est à dire devenir des êtres responsable et libres, autonomes, conscients de nos besoins, portant un regard lucide sur la nature humaine sans jugement de bien ou de mal. L’unification de la personnalité conduit à l’unité de l’être et l’amène à se « laisser vivre » par une réalité bien plus vaste que lui, à travers de ses actes créateurs.

« Ces qualités paradoxales du concept du soi sont conformes au fait que la totalité se compose de l’homme conscient, d’une part, et de l’homme inconscient, d’autre part. Or, on ne saurait définir ce dernier ou en préciser les limites. C’est pourquoi, dans son acception scientifique, le terme de « soi » ne se réfère ni au Christ, ni au Bouddha, mais à l’ensemble des figures correspondantes, chacune d’elle étant un « symbole du soi ». »
Jung, Psychologie et Alchimie, éd. Buchet/Chastel, 1970, p. 25

Le Soi est selon Jung inconnaissable et ne peut être exprimé que par des symboles. En partant de l’observation des rêves de ses patients, il a pu affirmer que les images collectives (archétypes) formant l’inconscient, apparaissent à la conscience pour diriger l’homme vers son unité. Bien que Jung se défende d’une approche spiritualiste ou métaphysique, le concept du Soi tel qu’il l’explique ressemble à l’idée de Dieu incarné dans l’homme.

« Qu’on se représente comme on voudra la relation entre Dieu et l’âme, une chose est certaine : l’âme ne peut pas être un « rien que » ; au contraire, elle a la dignité d’une entité à laquelle il est donné d’être consciente d’une relation avec la divinité. »
Jung, Psychologie et Alchimie, éd. Buchet/Chastel, 1970, p. 13.

L’homme se dirige vers l’épanouissement de son Etre, afin qu’il réalise et manifeste sa vraie nature, lien entre la Terre et le Ciel.

Alexandra Lach 1999

Bibliographie

Plus d’infos sur Jung sur le site www.cgjung.net
Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, Folio Essais.
Jung, Psychologie et Alchimie, éd. Buchet/Chastel.
Jung, L’énergétique psychique, Livre de Poche.
André Nataf, Le monde de … Jung, éd. MA Editions.

3e Millénaire n°101Cet article est paru dans la revue 3e Millénaire n° 101 du 3e trimestre 2011.




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

En poursuivant votre navigation sur ce site vous acceptez l’utilisation de cookies. En savoir plus

The cookie settings on this website are set to "allow cookies" to give you the best browsing experience possible. If you continue to use this website without changing your cookie settings or you click "Accept" below then you are consenting to this.

Close